Atelier Margueritte | Broderies d’art sur abat-jour
Broder la lumière, l’envers d’un métier d’art
On peut être impulsive, aimer l’intuition et les hasards, sans jamais rien prendre à la légère. Sur scène ou en coulisses, c’est en technicienne-chercheuse qu’Anne-Laure compose. Pendant 10 ans, elle a dansé dans les cabarets et réalisé les costumes de ses spectacles, avant de broder des pièces d’exception dans des ateliers dédiés à la haute couture. Aujourd’hui, toujours à la main parce que les plus belles choses prennent du temps, elle se fait artisane de nos intérieurs, libérant les abat-jours de leur rigueur de rabat-joie.
Il y a des jours comme ça : montrer patte blanche pour entrer dans une caserne de la Garde républicaine, en plein cœur de Paris. Y croiser des poussettes sous l’escalier et monter les étages pour entrer dans l’atelier d’une abat-jouriste. L’écouter raconter l’appartement Lesage avant Pantin, son amour pour les années 20’ et ses souvenirs de bricolage familial.
L’importance de l’instinct
Ensemble, on a parlé largeur de paillettes, structures de plumes et libération des femmes.
De ce jour-là, reste l’impression d’avoir assisté à une naissance. Comme les premiers jours d’une nouvelle vie. Anne-Laure fait des choix souvent « par hasard », dit-elle. Elle laisse venir les choses, par instinct. Elle parle des tiroirs qu’elle ouvre ou qu’elle ferme, parce que c’est le moment ou parce qu’elle a besoin de nouveaux défis. Ces tiroirs, ce sont toutes ces idées restées en tête, bien ordonnée souvent, que l’on garde pour soi. Jusqu’au moment où…
La lumière corsetée par l’abat-jour
Un constat simple, ce sera le point de départ : « Je trouvais très frustrant que l’intérieur des luminaires soit toujours beaucoup moins joli que l’extérieur ». Pourquoi nous conten-ter d’une monochromie triste alors que l’on passe la majeure partie de notre temps sous la lumière ?
L’abat-jour sera son support. L’ingénieuse commence par le début, elle retrouve ses premières amours et les perfectionne encore.
Anne-Laure se sait technicienne. Elle a appris, de son MacGyver de père, la maîtrise des matières, de l’école Lesage, la minutie des points, et du spectacle, le pouvoir lumineux des paillettes. En 2019, elle continue son apprentissage auprès d’un maître artisan d’art abat-jouriste.
De ce nouveau terrain, l’artisane a appris le vocabulaire, les techniques et les contraintes.
Elle a tiré le fil de son parcours, finalement bien plus construit que hasardeux : ses premiers travaux de brodeuse diplômée l’avaient menée au Moulin Rouge. À l’époque, elle ne dansait plus et avait revendu sa compagnie, mais l’exigence est restée, à peine détournée.
L’histoire de l’Atelier Margueritte, comme celle d’une libération
Celle des femmes déjà. En 1922, le livre La Garçonne fait scandale. Victor Margueritte, un « avant-gardiste », y parle des droits des femmes, de leurs pantalons et de leurs cheveux courts. Référence idéale pour une brodeuse amoureuse de l’époque et un tantinet féministe. Tout, dans les années 20’, plaît à Anne-Laure : les styles, les cabarets, le rythme de vie, Coco Chanel…
« À l’époque, les artistes s’ouvraient au monde. Un véritable débordement de liberté, de champagne, de paillettes… ». Et puis, c’était aussi l’apogée de la broderie.
Après avoir dansé le Charleston, la cohérente libère la lumière de ses carcans et la saupoudre d’audace raffinée.
Sur l’abat-jour, la poussière
L’abat-jour raconte le temps qui passe et le progrès technique. Il est né pour « abattre le jour », pour tamiser ou diriger la lumière, celle des bougies d’abord avant que l’électricité ne s’installe sérieusement dans les foyers.
Jusqu’à peu, on le trouvait désuet, mais le métier d’abat-jouriste est resté « métier d’art ». En 2020, le voilà objet de décoration, Il donne sa touche finale à la lumière. Anne-Laure le veut « objet de plaisir », suspendu au-dessus de nos têtes, perchée sur un lampadaire ou appliquée au mur.
Le Style Grain de Folie
Sa rencontre avec l’abat-jour s’est faite avec un livre croisé « par hasard », avec sa mère. Ensemble, elles l’ont acheté, l’ont regardé et finalement laissé dans un coin. Dans un tiroir sûrement. Et puis un week-end, sans trop savoir pourquoi, elle essaie sur une lampe de la chambre de sa fille, « un samedi après-midi pour s’occuper ».
Très vite, elle réalise qu’elle pourrait le broder.
L’artisane pense l’objet comme le support d’un style qu’elle aime, marqué de l’exubérance et de l’énergie de l’enfance. « J’aime les associations qui ne sont pas forcément évidentes, les motifs forts et les contrastes. Je ne veux pas m’arrêter à ce qui, a priori, se fait». Elle pourrait bien mixer les opposés, art nouveau, et Art déco. C’est son style et il plaît.
Dès ses premiers salons, elle a su qu’elle était « au bon endroit, au bon moment ». Question d’intuition, là encore.
Anne-Laure a connu l’appartement Lesage, son atmosphère familiale très particulière et ses stocks extraordinaires dans lesquels on devait jouer au Tetris pour s’y retrouver. Et puis Pantin… un pôle immense où certes le parquet ne grince pas, mais où l’âme Lesage n’existe plus.
Tout est fait à la main
La créatrice travaille à l’ancienne. Selon le type d’abat-jour, elle applique les techniques du contrecollé ou du tissu tendu. Pour des formes coniques ou tambours, Anne-Laure relie les deux cercles par du polyphane, double-face parfois. La matière plastique adhésive rigidifie la structure, elle permet une bonne diffusion de la lumière et protège de la chaleur de l’ampoule. Les formes plus complexes reposent sur des carcasses à recouvrir de matières, polyphane ou tissu. Anne-Laure patronne les morceaux de tissus, les tend et les coud. Elle les enrichit, teste et, surtout, évite la facilité.
Avec un peu d’entraînement viendront le cuir, le plastique, le raphia ou même le papier-reliure.
Ce qui fait ma créativité, c’est la technique. Je m’appuie davantage sur des matériaux ou sur une forme étrange à laquelle je dois m’adapter. Les matières vont bouger, je jouerai avec les déformations.
Les collaborations font avancer
Avec « les filles » du collectif Unique & Signé (que Corner Art connaît bien…) elle peut expérimenter, varier les supports et les plaisirs. « Ce sont, chaque fois, de nouveaux univers inconnus, j’essaie d’y entrer à ma manière. »
Ensemble, elles exposent au Marché Biron des Puces de Saint-Ouen. Leur concept soutient l’audace d’Anne-Laure et aide le client à se projeter. « Mises en scènes, des pièces fortes avec des motifs ou des couleurs un peu osés s’acceptent plus facilement. »
« Faire vibrer notre intérieur »
Anne-Laure ne veut pas « broder pour broder ». Ses pièces sont des ensembles, à la fois des matières à étudier, des volumes à monter et des motifs à « remplir ».
Avec le temps, elle affine ses envies, travaille les proportions, l’opacité et les couleurs.
Progressivement, Anne-Laure a trouvé sa méthode : pour chaque pièce à naître, elle garnit une pochette de fournitures et de notes. Tout doit être prêt pour les journées dédiées à la partie technique. Une brodeuse a besoin d’une sorte d’échauffement pour être « à l’aise, rapide et précise ».
Ces jours-là, Anne-Laure est « sur le métier, dans la main ».
À la fois danseuse, brodeuse et abat-jouriste.
Aujourd’hui, indépendante, elle compte bien s’amuser. Sans aucune censure.
À la fois danseuse, brodeuse et abat-jouriste
écrit par Anne-Charlotte Caulliez